Faire parler les images avec Julien Pitinome
Entretien
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« Il faut être conscient de l’impact que peut avoir une image, la conceptualiser. Les légendes qui accompagnent les photos sont importantes pour ce qu’elles apportent de contexte ».
Photoreporter et coordonateur du Labo 148, vous avez accompagné à distance pendant le premier confinement Nouvelles Cartographies. Pouvez-vous nous parler de votre implication dans ce projet ?
L’appel à contributions pour Nouvelles Cartographie n’était pas prévu. Au Labo 148, on s’appuie sur les résidence d’artistes et journalistes puis on s’adapte aux conditions, en l’occurence celles du premier confinement. On acceptait tout support autant des dessins, des photos, de la vidéo, que de l’audio ou du texte. J’ai été le premier à contribuer avec une photo. Au fur et à mesure de la publication des contenus, on s’est partagé le travail avec les autres coordinateurs et coordinatrices mais je me suis attaché à la valorisation des images. On fait tous de la photo mais cela demande un peu d’apprentissage pour bien la structurer, bien la défendre. Au moment de penser l’exposition, nous avons pu assembler, rassembler 37 mètres de collages revendicatif pour faire le contour de la verrière et dessiner un « chemin de rage ».
Vous donnez un exemple avec la façon dont vous avez traité l’image dans l’exposition mais qu’entendez-vous par structurer la photo, la défendre ?
Quand je dis structurer, j’entends penser la photo. Une image peut se produire, mais faire en sorte que cette histoire raconte une ou des histoire c’est autre chose, cela fait appel à une partie réflexive. C’est un apprentissage, au delà de la technique qui reste un support à la réalisation. Il faut être conscient de l’impact que peut avoir une image, la conceptualiser. Les légendes qui accompagnent les photos sont importantes pour ce qu’elles apportent de contexte. En tant que photo-journaliste, je fais particulièrement attention aux métadonnées que j’associe à mes photos. Une image peut-être utilisée par un média sans la bonne légende, il est important de pouvoir revenir dès lors à la première chose écrite ou perçu. Cela sauve politiquement d’un mauvais usage de la photo. C’est aussi ce que je sous-entend quand je dis la défendre. Une photo n’est pas juste une photo, elle est ancré dans un contexte, a des protagonistes - dont le photographe qu’il faut compter dans le lot même s’il n’apparait pas à l’image.
© Nicolas Lee
Ce sont donc les principes que vous transmettez au Labo 148 ?
Les journalistes sont les composantes d’une scène, que ce soit dans une manifestation ou ailleurs et c’est important de le rappeler. Le photographe crée du lien de fait et provoque des rencontres plus ou moins fortes. Je pense que c’est ce qui émane du Labo 148 : l’idée d’aller véritablement à la rencontre des autres. La société met des gens dans des cases et cela produit des discussions normées : il est d’autant plus nécessaire de prendre le temps pour y remédier. Les outils journalistiques, comme artistiques d’ailleurs, forcent la rencontre. Ici nous faisons se rencontrer des jeunes de quartiers populaires et des journalistes pas beaucoup plus âgés mais de milieux sociaux différents. Nous développons une compréhension mutuelle du journalisme ; il ne s’agit pas seulement de faits mais de personnes qui vivent des choses.
"Les outils journalistiques, comme artistiques d’ailleurs, forcent la rencontre. Ici nous faisons se rencontrer des jeunes de quartiers populaires et des journalistes pas beaucoup plus âgés mais de milieux sociaux différents. Nous développons une compréhension mutuelle du journalisme ; il ne s’agit pas seulement de faits mais de personnes qui vivent des choses."
Qu’est-ce qui vous a amené vous-même au Labo 148 ?
C’était un choix important pour moi qui suis né à Roubaix et ai grandi à Tourcoing. Je suis revenu dans la région après avoir vécu et travaillé plusieurs années comme photo-reporter à Paris par soucis de transmission. Je n’étais pas destiné à la photo, je n’ai pas eu de propositions jeune, mais j’ai construit ça et cela m’a amené à partir quand peu de gens dans mon quartier d’origine l’ont fait. Je suis éducateur de formation et j’ai cette logique d’accompagner et de monter des projets. Je considère que cette dimension sociale, ce souci de la transmission sont autant de valeurs ajoutées à la photographie. Quand tu reviens quelque part c’est avec des choses en plus, ce que tu as vécu ailleurs. Cela vaut pour les pratiques journalistiques comme artistiques et c’est ce que j’ai senti avec le Labo 148. Un lieu d’expérimentation où il est possible d’apprendre des choses, où l’on produit et on accompagne.
Vous suivez par ailleurs la vie de la Condition Publique et les artistes qui y passent …
La logique documentaire se recoupe un peu avec la logique photojournalistique. Il s’agit toujours pour moi de documenter une période de vie qui peut être celle d’une ville ou d’une vie culturelle. Réunies, des images isolées qui pourraient paraître anodines racontent des histoires. Ces capacités à faire parler des photos, à véhiculer des histoires dans mes reportages même du quotidien me valent de travailler régulièrement avec des entreprises. Il y a une richesse dans ce qu’il se passe et dans le travail documentaire, j’ai le temps de me consacrer à mon sujet, de développer une perception particulière.
Pour moi la Condition Publique est un lieu de travail et de production. Avec le Labo 148, nous cherchons à documenter et valoriser cette activité. Nous créons pour le lieu une banque d’image qui lui insuffle une nouvelle dynamique, lui ajoute une plus-value. Nous nous demandions comment participer à la vie du lieu sans être salarié ? Je laisse ainsi une trace de mon passage et de ma collaboration avec le Labo 148.
C’est finalement à une vision collective du journalisme que vous appeler avec le Labo 148 alors que le milieu est connu pour sa compétitivité et sa course aux infos ?
La question du collectif se pose dans l’ensemble de mon travail. En tant que photojournaliste, je suis indépendant mais je suis un solitaire qui n’aime pas la solitude. J’ai besoin de confronter, discuter mon travail photo. Pour cette raison je suis très impliqué dans le collectif Œil, qui rassemble des photographes indépendant, où l’on mutualise nos compétences et nos moyens. C’est la base de ma nouvelle vie. Je retrouve par mon travail la logique de l’éducation populaire, le faire, l’horizontalité. On doit créer des espaces pour qu’un collectif prenne corps. C’est consubstantiel au Labo 148 pour moi de développer une solidarité au delà de la production. La logique collective impose une responsabilité et forme des individus solidaires. Il est important d’avoir de tels lieux d’expérimentations sécurisés pour permettre aux projets de se développer et aux gens de prendre la parole librement.
"Au Labo, on s’efforce d’établir les conditions pour parler de ce qu’on vit, de ce qu’on a envie de dire. Il me parait primordial quand on cherche à développer des pratiques journalistiques de se débarrasser de toutes formes d’autocensure."
Qu’est-ce qui sécurise le Labo 148, comment vous y prenez-vous ?
Sécuriser l’espace dans lequel on travaille c’est mettre en place les conditions pour que la parole puisse être libérée, entendue, discutée. C’est difficile. À l’école, dans une salle de classe, c’est un prof pour 30 élèves dans un rapport vertical entre sachant et apprenants. Au Labo, on s’efforce d’établir les conditions pour parler de ce qu’on vit, de ce qu’on a envie de dire. Il me parait primordial quand on cherche à développer des pratiques journalistiques de se débarrasser de toutes formes d’autocensure. C’est un lieu de vie au delà d’un espace de production, en porosité avec la Condition Publique et ses résidences. Ca bouscule aussi les pratiques journalistiques ; quand les jeunes passent la portes il ne laissent pas ce qu’ils sont dehors. Ils dansent, dessinent et tout cela peut servir la visée journalistique : il y a différent médiums dans le média. Nous avons l’avantage, par rapport à d’autres projets médias que l’on retrouve dans des centres sociaux ou rédaction, d’être dans un lieu culturel. Nous pouvons faire rentrer des jeunes dans des lieux culturels, les intéresser à ce qui s’y passe. Il est important de montrer que tout le monde peut y accéder, que la porte est ouverte. On autorise ainsi les autres personnes du quartier à poser un regard sur ce qui est fait.
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