Dans les coulisses de Nouvelles cartographies avec Flora Beillouin
Entretien
Découvrez les coulisses de cette aventure collective et inédite racontée par Flora Beillouin, journaliste de formation et illustratrice, qui coordonne depuis 2017, le Labo 148, projet média de la Condition Publique.
Depuis l'appel à contribution lancé au printemps 2020, Flora a participé, en tant qu'artiste et coordinatrice, au projet Nouvelles cartographies, qui a donné lieu, en septembre dernier, à une exposition dans la verrière de la Condition Publique.
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Vous avez coordonné le projet Nouvelles cartographies qui a commencé en ligne et pensé un accrochage à la Condition Publique. Le contexte du deuxième confinement rend complexe la visite de l’exposition mais il est toujours possible de retrouver ce travail numériquement. Qu’est-ce que le confinement change à nos géographies ?
Il me semble important tout d’abord de rappeler que Nouvelles cartographies rentre dans le cadre de Labo 148, un projet qui a plus de trois ans maintenant et accueille à chaque rentrée une quarantaine de jeunes (entre 15 et 30 ans) en rédaction. La logique est moins celle d’un média que celle d’une agence de production audio-visuelle.
Nous avions au préalable pensé notre saison autour d’Africa 2020 avec en plus des deux journalistes en résidence, la possibilité d’échanger avec les artistes invités à la Condition Publique pour l’occasion. Chaque semestre, nous changeons de sujet et le choisissons collectivement de manière à ce qu’il soit suffisamment riche et transversal pour faire intervenir des artistes, influer sur la programmation culturelle.
Avec mon collègue du Labo 148, le photographe Julien Pitinome, et deux journalistes en résidence, Anne Bocandé, Sophie Bourlet ainsi que Kwasi Ohene Ayeh, un des artistes du collectif ghanéen Exit Frame censé venir en résidence à la Condition Publique dans le cadre d'Africa 2020, nous avons voulu établir pour ce premier temps de réflexion et de production complètement à distance une forme d’une correspondance mondiale. La forme numérique est née de ce qui n’a pu avoir lieu en présentiel durant le premier confinement. Notre appel à contribution et à création, les Lettres du Tout-Monde pour reprendre l’expression d’Edouard Glissant a été largement diffusé sur les réseaux sociaux et les réseaux de chacun. À la sortie du premier confinement nous avions rassemblé 242 contributions de tous les continents. Nous avions ensuite eu l’envie de le valoriser dans une forme plus physique ces échanges, d’où le format de l’exposition.
L’envie de faire dialoguer autour de cinq actes de réflexions : comment « circuler » et « se représenter » dans l’espace, comment « se raconter » et se regarder soi et l’autre, comment « se projeter et rêver », et comment « lutter et combattre »
Comment a justement évolué ce projet avec le premier déconfinement et les possibilités de se retrouver, pour quelques mois du moins, physiquement ?
Nous avons pensé à la forme d’une exposition pour justement explorer la spatialité de ces cartographies. Nous avons dû sélectionner parmi les nombreuses contributions bien sûr mais nous voulions proposer un panorama. Pour articuler le parcours, nous avons assimilé les « maisons » présentes dans l’espace d’exposition à la Condition Publique à des thématique de notre parcours.
Nous voulions une exposition vivante qui reflète l’idée du projet avec quelque chose de collaboratif ; pour la première journée, nous avions ainsi invité un architecte et une géographe. Nous avions aussi en tête de présenter la revue de poésie et les gravures réalisées sur la même période que l’appel à contributions ; il ne s’agissait pas de figer la dynamique d’échanges mais de continuer ces temps de rencontre. Nous voulions ainsi proposer des émissions de radio en parallèle de l’exposition sur des réflexions autour des médias et des représentations. Nous avions déjà enregistré une dizaine d’émissions des Ondes Urbaines autour d’objets culturels et de questions d’actualités bien définis mais nous voulions cette fois théâtraliser l’enregistrement et le proposer au public.
Avec le deuxième confinement, nos plans sont bien évidemment modifiés et nous nous posons à présent la question du comment ne pas se répéter alors que nous comptions traiter de thématiques envisagées dans la continuité de Nouvelles cartographies.
Avec Nouvelles cartographies vous l’avez dit, il a pu être question de poésie, d’illustration. Est-ce un nouveau pas pour le Labo 148 ?
En tant que coordinatrice d’atelier, j’anime un projet média et pas juste un projet journalistique. J’ai pour ma part une pratique d’illustration et d’écriture et je m’appuie sur ces compétences là aussi au Labo 148. Qu’il s’agisse de la scénographie de l’exposition avec Laura Bodénez, de l’installation ou du collage dans l’espace urbain avec Paolo Cirio, nous avons en effet mené des projets à la limite de l’artistique. Ce sont des formats nouveaux qui nous font aussi avancer individuellement. Avec Nouvelles cartographies, nous avons franchi un cap en nous dévoilant un peu plus, avec nos propres productions. Nous nous sommes mis, animateurs, coordinateurs à égalité avec les jeunes, ce que je ne me permettais pas de faire dans cette partition du temps : gravure, illustration et journalisme. A présent je vois la continuité et c’est aussi une nouveauté pour moi. Nous nous sommes mutuellement soutenus dans ce moment déconcertant et c’est ce qui était particulièrement marquant.
"Nous vivions une aventure collective où toutes les voix trouvaient leurs places et résonnaient."
Dans ce moment difficile pour la presse, est-ce que le Labo 148 décrit un avenir du journalisme ?
Beaucoup de choses bougent en ce moment et il est rafraîchissant de voir ces expérimentations. On sent une véritable demande pour des récits plus sensibles, avec des points de vue d’auteurs, des écritures documentaires et c’est peut-être un des avenirs de la presse alors que le journalisme d’investigation est devenu très difficile à mener, en termes d’accès à l’information mais aussi en termes économique. Nous sommes aux croisement de plusieurs approches et il n’y a plus de formation unique.
On pourrait aussi parler du data journalisme qui travaille avec les données et nous rappelle combien un même sujet peut être traité de différentes façons. Nous avons mené avec Paolo Cirio un projet d’installation et de collage dans l’espace urbain ; les jeunes du labo ont réalisé des entretiens au sujet de la reconnaissance faciale. Le projet artistique avait un lien direct avec l’information la documentation. Quand bien même l’artiste choisissait la provocation pour traiter ce sujet de société, il partait de prémices informationnelles, documentaires. Le projet a atteint son but et a provoqué une réaction directe du ministère de l’intérieur ; il s’agit de formats à la lisière où l’on va cherchait d’autres choses.
Face à cette diversification d’approche à l’information, on pourrait penser que l’enjeu d’éducation au média est d’autant plus importante …
Le Labo 148 est un projet au long cours, ancré dans la durée sur un territoire. Avant, les différents animateurs, journalistes, on essayait tous des choses dans notre coin et nous sommes restés très poreux aux questionnements de l’éducation aux médias. Avec un noyaux de journalistes indépendants, nous avons fondé un collectif qui assure la formation de formateurs. L’idée d’une école libre de l’éducation aux médias nous semble entrer en continuité avec l’action des radios libres : ces radios de quartier qui œuvraient à l’éducation aux médias et ont été abandonné par l’état (au niveau financier). Le passage au numérique en a laissé beaucoup sur le carreau. Nous défendons un compagnonnage : à la fois un projet à l’échelle européenne et un tissage régional.
Nous ne réinventons pas l’eau chaude mais s’il y a des enjeux nouveaux dans les quartiers populaires, les problématiques de fond restent les mêmes et notamment celle de la façon de toucher les jeunes.
On se renseigne sur ce qui a pu marcher ailleurs, nous faisons réseau, aussi avec le monde de l’université, et avons ainsi récemment imaginé des contre-recettes d’ateliers aux médias pour sortir des attendus (dénoncer les fake news, défendre la laïcité) et des préjugés sur l’esprit critique des jeunes mais au contraire encourager leurs pratiques journalistiques. Nous n’apportons pas la bonne nouvelle, nous ne sommes pas missionnaires mais nous nous rendons compte qu’il y a un besoin de rencontres aujourd’hui dans l’information. Nous ne pouvons plus continuer à croire à un système où l’information serait descendante quand on expérimente l’interaction. Il s’agit de fabriquer ensemble l’information, de faire émerger des sujets dans la discussion. C’est un travail de terrain fait tout au long de l’année en entendant des voix que l’on n'a pas toujours l’habitude d’entendre. Il y a une mine en matière de sujets et de choses à raconter et Nouvelles cartographies avec sa dimension internationale l’a bien montré.
Voir aussi
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