
Le propos de l'exposition
par Pascal Marquilly, commissaire d'exposition
Le bruit et la fureur...
Aux portes des villes et des villages se pressent et s’accumulent sans retenue aucune des hordes de véhicules tonitruants, arrivent par mer, par air,
par terre, soustrayant leur masses titanesques aux lois de la gravité, chargés à fond et débordant de biens de consommations qui très vite se répandent en chaque endroit, envahissent
les rues et les demeures, remplissent chaque interstice, et s’évertuent à bourrer jusqu’à la gueule le moindre des citadins, n’épargnant personne. Un véritable déluge, accompagné comme il se doit d’un matraquage visuel approprié, c’est à dire absolument impitoyable, percutant sans arrêt chacune des rétines, se
faufilant et grouillant, des milliards de cafards numériques qui s’évertuent à bouffer votre attention et plus encore vos intentions, et à la moindre erreur c’est la chute, on tombe, on s’affale dans les bas-fonds. Un raz-de-marée, dirait-on, oui, mais paradoxalement mené à grand train avec un sens de l’organisation hors du commun, réglé comme du papier à musique quand il s’agit d’écouler le plus rapidement possible des tas d’immondices bien emballés, bien manufacturés, profondément transformés, à tel point que tout se ressemble et que seule l’image qui en est produite distingue finalement
le bon grain de l’ivraie, encore faut-il y trouver quelque chose de bon là-dedans.
Et chaque jour ça recommence, ça s’enfonce encore plus loin, jusqu’aux confins de la nuit, une litanie interminable fleurant l’ennui pour qui s’y
attelle. Une course folle, une agitation vaine mais rédemptrice, à en perdre haleine, lancée à toute bringue à la poursuite d’un rouleau compresseur
charriant à sa suite des monceaux d’horreurs, on patauge dedans mais on s’émerveille des mille feux du productivisme effréné des sociétés,
de l’exploitation sourde de toute ressource, un pillage généralisé et élevé en paradigme. Certains dansent sur les ruines mais se réservent des havres paradisiaques tandis que d’autres regardent effarés leur propre décomposition.
Et l’on ploie sous nos propres jougs, les sacro-saintes lois économiques qui poussent toujours plus loin l’absurdité de la situation, nous projettent vers l’apocalypse, broyant sous les actions conjuguées du profit à outrance et d’un aveuglement brillant toute forme de vie pour en recracher une bouillie bien épaisse, appétissante au demeurant, enrobée des plus beaux oripeaux,
de l’espérance de la terre promise aux éclats hallucinés et clinquants de l’appropriation de toute chose, âme et matière confondues. C’est à
bien y regarder un terrible massacre relevant plus de la barbarie la plus primitive que de ce que l’on est en droit d’attendre d’un état social évolué, complexe, raffiné pourquoi pas ?
L’enfer est sur terre et on en redemande
!
BREATHE ! BREATHE ! BREATHE ! BREATHE !
Et soudainement, un petit rien d’une puissance d’arrêt foudroyante entrave la marche du monde. Presque à l’arrêt, du moins au ralenti, il est enfin possible de voir autour de soi autre chose que la cavalcade écervelée de l’humanité. Mais que voyons-nous ? Ou autrement dit, que nous montre cette pandémie, que veut-on y voir ? On passera rapidement sur le confinement et le temps qui s’écoule très lentement, l’arrêt brutal pour beaucoup des activités quotidiennes, la fulgurante sensation de vide susurrant à
l’oreille des contrariétés et des emmerdements à venir, les injonctions contradictoires des autorités, les gestes barrières, les visages masqués derrière des yeux atones ou particulièrement pétillants pour certain, les masques sous le nez, sous le menton, au poignet, jetés au sol, piétinés, les gosses à gérer à la maison dans un espace se réduisant comme peau de chagrin, les déplacements controlés et normés, les engueulades de couple au bord de la crise de nerf, les voisins encore plus bruyants, l’explosion des violences conjugales et les plaintes des femmes le visage tuméfié, ceux qui ont arrêté de fumer et ceux qui ont commencé à picoler méchamment, les nouvelles éparses des proches, l’éloignement des sources de plaisir en ville, les rues désertes, les apéros clandestins, la fuite dans la résidence secondaire, le télé-travail, la déprime, la chute vertigineuse de certaines économies, la fermeture des lieux de vies, les entorses nombreuses aux règles élémentaires de sureté que réclame la situation sanitaire sur les lieux de travail, les crises existentialistes, et la peur au ventre, chevillée au plus profond, après tout ça occupe, on ne parle que de ça, ça fait événement, ça bouscule le train train, du grand spectacle, mieux que les séries, avec des rebondissements, des faux semblants, du suspense et la soudaine prise de conscience, peut-être, que décidément quelque chose ne tourne pas rond...
Oui, il faut faire des efforts incommensurables, ou être doté d’une mauvaise fois à toute épreuve, ou encore faire preuve d’une indigence remarquable pour croire encore aux chimères de l’ultralibéralisme, à la croissance à tout prix, aux dieux de l’économie dévastatrice. Oui, ce temps permet d’observer à nouveau le monde et d’en saisir les causes de son inéluctable effondrement, le temps pour quelques générations peut-être de se saisir de leurs destinées. Oui, il est difficile de faire l’impasse sur un constat largement partagé par de nombreux scientifiques et penseurs du vivant, sans d’ailleurs se laisser enferrer par une quelconque idéologie : il est clair que les activités humaines, à ce stade de développement des civilisations, sont particulièrement néfastes à la vie naturelle, à l’équilibre écologique de notre Terre. Et elle est en bien mauvaise posture, la matrice, la mère Gaïa, malade à en crever, en stade terminal, bientôt au point de rupture, au bord du gouffre, les pieds dans les boues chimiques, le ventre gavé de plastique, à en éclater.
Urgences
Il devient urgent de repenser notre rapport à la Terre et à ses ressources,
tant nous lui appartenons plutôt qu’elle nous appartient. Il ne s’agit pas de sauver ou de sauvegarder tel ou tel site naturel remarquable, telle ou telle espèce animale en voie de disparition, et elles sont légions, même si ce peut être louable à bien des égards, mais de reconsidérer enfin notre rapport à la nature, ce qui nous constitue en tout et dans laquelle nous ne nous reconnaissons en rien...
Il devient urgent de préserver notre maison commune. Mais qu’est-ce que c’est que le commun ? Un machin oublié dans la nuit des temps, mais dont beaucoup se sont emparés sans vergogne, et ont bâti, à l’aide de la thésaurisation des ressources et la
palanquée des manipulations en tout genre, des forteresses inexpugnables.
À l’assaut !
Reprendre ce qui nous est commun, l’air, l’eau, la terre, les paysages, l’empathie, le partage, les joies et les peines, la vie, la mort, l’inconnu… exactement, pour résumer, le contraire symétrique de ce qu’il nous est donné de vivre aujourd’hui...
Pascal Marquilly
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