"J’invite les gens à participer à la mise en forme d’un lieu situé dans leurs quartiers ; qu'ils deviennent des acteurs et non des spectateurs, je les aide à se sentir investi dans le lieu et à entrer dans un espace qui n’est pas complètement le leur."

Designer et scénographe, vous avez récemment participé au montage de l’exposition Nouvelles Cartographies, mais votre investissement auprès de la Condition Publique est plus ancien. Pouvez-vous revenir sur votre parcours au sein du lieu ? 

J’ai commencé à travailler avec la Condition Publique en service civique en janvier 2019 sur le tiers-lieu, les espaces d’accueil, les ateliers et le lieu de vie. Je suis arrivée au moment de la création du Beau Repaire alors que je terminais mes études en design d’espace. Cette coïncidence m’a permis d’apporter mon expertise et mes compétences en ce domaine ; j’ai ainsi été rapidement chargée de développer la signalétique de façon ludique pour guider les gens vers ces nouveaux espaces. Il était intéressant pour moi à la fois d’envisager ces lieux mais également de les pratiquer et de me confronter à ceux qui les utilisaient. J’ai commencé par le fablab où j’ai animé des ateliers puis poursuivi dans la Halle B et à Mons Fabrica dans le cadre du programme des Beaux Endroits. Pour la Halle B, il s’agissait d’assumer un espace de récréation et de loisir à destination des familles. Pour Mons Fabrica, il s’agissait davantage de se projeter dans ce tiers-lieu, d’en faire une vitrine et de déjà travailler sur la signalétique à défaut de l’habiter franchement. Dans tous les cas, je travaille en prenant compte des contraintes qu’elles soient financières ou relatives à l’espace public et de la technique et j’intègre les associations partenaires et les habitant·e·s qui voudraient venir. Il y a une dynamique participative dans ces projets, que l’on parle de co-création ou de co-construction.

© Julien Pitinome

Vous avez participé à la scénographie de l’exposition Nouvelles Cartographies qui est un projet initié en ligne. Comment avez-vous appréhendé ce projet de rendre physique des échanges virtuels ?

J’accompagnais le travail du Labo 148 bien avant qu’il ne soit question d’une exposition. Au début, l'équipe a fait appel à moi pour réaliser les cartes interactives sur le site et je leur proposais mes ressources graphiques. Au vu de l'engouement de cet appel à contribution et du nombre de productions, il nous a semblé collectivement important de montrer ça « en vrai ». Avec le déconfinement, nous avons pu nous réunir sur place avec l'équipe chargée du projet, Flora Beillouin, Ute Sperrfechter, Julien Pitinome, Sophie Bourlet et Anne Bocandé pour réfléchir ensemble à la forme que pourrait prendre cette exposition et sa scénographie. Il s’agit donc d’une co-création aussi bien pour le choix des productions retenues que des modalités de présentation. L’idée des chemins cartographiques nous a guidé et nous a permis d’intégrer des maisons en métal présentes sur les lieux et de leur donner un rôle. Des contraintes, nous avons créé un parcours qui restitue la dynamique qui a généré ces contenus. Il ne s’agissait pas de raconter de manière synthétique le projet mais de bien détailler les notions importantes et restituer sa vision internationale, la variété des personnes qui ont pris part. L’exposition restitue la richesse de ces productions, nous propose des visions d’ailleurs, des nouvelles cartographies pour nous ouvrir sur le monde.

"En favorisant l’horizontalité, en acceptant le dialogue on s’enrichit et on peut aller plus vite dans l’élaboration des choses. En quelque sorte il s’agit de vivre un projet plutôt que de le mener et ces aspects sont de plus en plus importants aujourd’hui : on est dans une ville, un espace, un territoire auquel nous devons œuvrer collectivement."

Qu’il s’agisse finalement de la signalétique de la Condition Publique ou de la scénographie de Nouvelles Cartographies, votre travail rend toujours compte de mouvements, de déplacements ?

Je me suis sans doute spécialisée dans un travail de l’espace. Je suis attachée à la dimension locale d’un lieu, à son voisinage et les cartes subjectives qu’amène l’exposition disent aussi quelque chose de ma façon de travailler. Sans doute tout cela est mis en lien par la Condition Publique mais selon les projets, ce sont des relations elles aussi différentes. On aborde de plus en plus dans les projets les notions de co-création, de collectif. J’accorde une grande importance à proposer des concepts mais il me semble primordial d’intégrer les personnes visées par un projet dès la phase de conception et de le développer avec elles et eux pour qu’il soit accepté et approprié. Faire comprendre le processus menant à l’aménagement d’un lieu plutôt qu’imposer un produit fini est utile à plus d’un titre. En favorisant l’horizontalité, en acceptant le dialogue on s’enrichit et on peut aller plus vite dans l’élaboration des choses. En quelque sorte il s’agit de vivre un projet plutôt que de le mener et ces aspects sont de plus en plus importants aujourd’hui : on est dans une ville, un espace, un territoire auquel nous devons œuvrer collectivement. 

En tant que designer et scénographe, je travaille aussi à élaborer de nouvelles communications pour que chacun puisse faire rayonner son expertise et ses compétences. J’invite les gens à participer à la mise en forme d’un lieu situé dans leurs quartiers ; qu'ils deviennent des acteurs et non des spectateurs, je les aide à se sentir investi dans le lieu et à entrer dans un espace qui n’est pas complètement le leur. S’il n’y a pas de convivialité au sens littéral du terme, c’est qu’il y a un problème dans l’identité d’un lieu censé accueillir des usagers. La préhension du parcours est devenue fondamentale dans mon métier.

© Laura Bodénez